Comme le disait Jane Jacobs, marcher est un acte politique. Marcher dans la ville, rencontrer, discuter et découvrir les espaces habitables, c’est défendre le droit à un habitat digne et une ville vivante.
Samedi dernier, nous avons organisé une promenade à pied dans les rues de Fort-de-France, explorant l’architecture du mouvement moderne et les trésors de la ville. Notre parcours a débuté par l’Immeuble Antilles, œuvre de Louis Caillat datant de 1955, une promotion de logement collectif du Groupe Monplaisir.
Ce bâtiment de sept étages, l’un des premiers de Fort-de-France à être équipé de deux ascenseurs, illustre parfaitement la stratégie de mixité typique du mouvement moderne : commerces, bureaux et logements se conjuguent dans une même parcelle autour d’un espace public et d’une « cinquième façade » — la toiture-terrasse conçue comme espace collectif pour le plaisir des habitants. Nous avons pu observer l’orientation particulière du bâtiment, avec un couloir central qui capte les alizés du nord-est, ventilant naturellement les appartements, et des brise-soleil qui protègent les balcons et les logements du soleil tropical. Ce couloir génère également une transition subtile entre l’espace privé et collectif, créant des sortes de vérandas partagées où les habitants s’approprient l’espace à leur manière.
Notre promenade nous a ensuite conduits vers le BDAF, le premier Banque de Développement des Antilles Françaises, où se combinent différents styles architecturaux, reflet d’une période de transition économique et culturelle. Nous avons poursuivi notre parcours par la rue Victor Schoelcher, avec ses bâtiments commerciaux de petite échelle mais d’une grande créativité architecturale. Un arrêt particulier à la Maison des Combattants nous a permis de découvrir une petite œuvre brutaliste typique de la Martinique. Ces explorations permettent d’apprécier les efforts techniques et artistiques des architectes locaux, notamment dans la construction en béton.
Nous avons également visité l’Église du Christ-Roi de Bethlehem, joyau de l’architecture moderne des années 60, de l’architecte martiniquais Maurice de Lavigne Sainte-Suzanne, préfigurant le postmodernisme qui arrivera en Martinique dans les années 80 et 90. Conçue après le Concile Vatican II, elle illustre la transformation de la spatialité liturgique et l’émergence d’une modernité dans l’architecture religieuse, comme on peut également observer à l’Église Saint-Christophe à Kerlys.
Nous n’avons pas oublié la rue de la Liberté, avec ses bâtiments modernes monumentaux tels que l’Hôtel Impératrice, la BRED ou la Rotonda.
En poursuivant notre parcours sur le boulevard Charles de Gaulle, nous avons découvert le bâtiment de La Nationale, monument historique de l’architecte Xavier Rendu, la rénovation de l’ancien Sécurité Sociale, oeuvre des architectes Henri Madelain, Claude Meyer-Lévy et Louis Caillat, et la Maison des Syndicats, de l’architecte Marcel Salasc.
Enfin, notre visite a atteint un point crucial : l’Imprimerie Officielle, de l’ingénieur Honoré Donat, labellisé architecture contemporaine remarquable actuellement en cours de démolition.
S’arrêter devant l’Imprimerie Officielle permet de prendre conscience de l’importance de ce type de bâtiment dans l’histoire industrielle et urbaine de Fort-de-France. Construit autour d’une cour centrale et organisé en neuf corps disposés en U, l’édifice témoigne de la complexité fonctionnelle des imprimeries du XXᵉ siècle : machines au rez-de-chaussée, salles de rédaction à l’étage, bureaux, mezzanines et installations techniques telles que transformateur, groupe électrogène et réserves d’eau. La maison du directeur, intégrée à l’ensemble, illustre également la hiérarchisation des fonctions et la conception du lieu de travail à cette époque. Observer ce bâtiment aujourd’hui, partiellement transformé et en cours de démolition, permet de réfléchir à la valeur patrimoniale de l’architecture industrielle et à son potentiel de réhabilitation, plutôt que de destruction, dans un contexte où la durabilité et la mémoire urbaine sont essentielles.