Nous vivons une époque où l’utopie semble avoir perdu le souffle qui la caractérisait autrefois. Notre temps est celui où la réussite s’écrit en termes matérialistes et individualistes, où les projets collectifs imaginaires sont méprisés, considérés comme des jeux d’enfants que des expériences passées se sont chargées de démanteler comme étant futiles. Le commun n’est plus matière de rêve. Dans les domaines de l’architecture et de l’urbanisme, même si des critiques et des propositions émanant de circuits intellectuels se multiplient, la planification urbaine par voie de réglementation n’incite pas vraiment les citoyens à participer à la conception de leur propre habitat. Quant au paradigme corbuséen, dont la vision universaliste s’impose sur des réalités sociales méconnues, son tour est également révolu, et pour des bonnes raisons qu’on ne citera pas ici.
Pourtant, face aux catastrophes écologiques, économiques et sociales qui s’annoncent, il est plus que jamais urgent de mobiliser ce potentiel créatif qui prend forme dans les aspirations utopiques, afin de formuler un lendemain viable pour la vie des communautés. L’espace urbain, en tant que décor de nos interactions, mais aussi par sa nature physique et tangible, est l’un des premiers contextes qui se prête à cet exercice. Et c’est précisément dans cette optique qu’abité travaille depuis des années comme médiateur entre les habitants, les professionnels et les institutions publiques et privées, en offrant des lieux de réflexion commune et d’échange, en vue d’une transformation positive de la ville. A cette occasion, abité convie quatre étudiants en architecture martiniquais à imaginer un Fort-de-France du futur et de traduire en images réalistes leurs propres utopies urbaines.
Le choix de l’horizon 2050 n’est pas fortuit. Il renvoie d’abord à la décennie désignée par tout un agenda public supranational qui cherche à établir des stratégies de long terme, en vue d’accompagner la transformation de nos sociétés vers un modèle conforme à celui de la transition écologique jugée nécessaire. L’une des déclinaisons de cet agenda est, comme on peut s’y attendre, l’intervention sur le principal habitat humain d’aujourd’hui, à savoir les villes. Mais l’exposition Fort-de-France 2050 repose sur la volonté de transposer ces préoccupations à l’échelle locale, contrecarrant cette vision là qui se sert d’indicateurs et de statistiques produits dans des bureaux par des experts qui, pour la plupart, ne connaissent pas la diversité des réalités auxquelles ils se réfèrent. Car qui mieux que les habitants eux-mêmes pour “faire ville” ? C’est sans doute le génie du lieu qui pourra apporter les meilleures réponses à l’épanouissement urbain. Pour reprendre l’idée exprimée par l’écrivain Patrick Chamoiseau, la ville chez nous doit être créole.
L’année 2050, soit dans trente ans, c’est aussi le moment où les quatre jeunes diplômés auteurs de l’exposition seront devenus des architectes confirmés. Au cours de leur carrière, s’ils décident de la développer en Martinique, ils auront marqué de leur empreinte le paysage bâti du pays et donc aussi sa société. C’est à elles et à eux que revient la tâche d’imaginer l’avenir de nos villes. Pour cela, s’autoriser à rêver doit être la première étape, le moteur initial permettant de réenchanter une capitale qui, depuis sa création en 1904 comme chef-lieu par la présence des différentes institutions publiques, économiques et culturelles, a vu son attractivité prendre du plomb dans l’aile auprès des Martiniquais.
À l’aide d’outils actuels à la portée de tous, notamment la génération d’images ave l’Intelligence Artificielle, il s’agissait pour ces jeunes de ne pas fixer de limites à leur imagination et de traduire ces rêves en illustrations aussi réelles que possible, que l’observateur peut presque toucher. Il s’agit de repères architecturaux et urbains familiers. Le Fort Saint Louis n’est plus un lieu inaccessible et interdit, mais est devenu un parc ouvert à tous, accueillant des activités culturelles et sportives. Le Canal Levassor est maintenant transformé en promenade, de même que le Boulevard Général de Gaulle, où la place est aux piétons et à la verdure, plutôt qu’à des voitures. Le front de mer, quant à lui, est finalement totalement récupéré pour les citoyens. Il ne s’agit donc pas d’appliquer une tabula rasa, mais de tirer parti du potentiel de ce qui existe déjà, avec la conviction qu’il est possible d’en augmenter la valeur. L’exposition est conçue à la manière d’une capsule temporelle, une pièce dans laquelle sont rassemblées les archives du futur : un panel d’œuvres, le témoignage d’un habitant de demain et, surtout, des photographies réalistes et lumineuses d’espaces quotidiens de la capitale. Aisément identifiables, ces fragments de ville laissent entrevoir la suite d’une Fort-de-France complètement métamorphosée, où il fait bon vivre pour ses citoyens, où le béton fait place au vert et où l’espace public est un lieu de rencontre. C’est de la fantaisie, mais cela pousse à croire en ce rêve. Ce geste pourrait-il être un déclencheur des réalités futures ?
VERNISSAGE
LEPATIO19 – 30 août 2024 à 18h00
19 Rue Garnier Pages 97200 Fort-de-France, Martinique
HORAIRES DE VISITE
De lundi au vendredi de 10 à 16h
CRÉDITS
FORT DE FRANCE 2050 est une idée originale d’abité, avec le support financier de la Direction des Affaires Culturelles de la Préfecture de la Martinique.
Direction artistique : Rafael José SALCEDO
Images : Gaëtan BOURROUET, Loreley PATOLE, Adam Antonin PERRIN et Anne Laure LOUIS-THERESE.
Scénographie : David FONTCUBERTA et Angela RODRÍGUEZ PEREA
Infographie et graphisme : Rafael José SALCEDO et Gaetan BOURROUET
Textes : Angela RODRÍGUEZ PEREA, Gaëtan BOURROUET, Loreley PATOLE, Adam Antonin PERRIN et Anne Laure LOUIS-THERESE.
Crédits Photos Actuelles : Stan972, Google Street View et Maxime Armange